De la définition d’un style ou se définir soi-même

De la définition d’un style ou se définir soi-même



Il m’a souvent été demandé de définir le style de ma chorégraphie, de mon propre langage. 

C’est une question qui m’a toujours pris de court, et m’occupe encore et toujours l’esprit. De longs moments de réflexion passés à trouver une définition, une accroche - et puis me retrouver sans réponse la fois suivante.


Tout récemment, par exemple, on m’a demandé si le fait d’aimer les pointes n’était pas antinomique avec une approche plus moderne de la danse. Ou même sans aller trop loin, l’éternel débat chausson contre chaussettes, ce qui fait moderne ou pas. Spoiler alert- c’est souvent les chaussettes qui fait le danseur moderne; pour paraphraser le dicton.


Évidemment, le très socratique adage “connais-toi toi-même” aurait dû m’inciter à un peu plus d'auto-analyse avant de me confronter aux autres mais à vrai dire, je ne saurais répondre à cette question même après tout ce temps de réflexion. D’ailleurs, quand bien même je cernerais les contours d’une identité stylistique, est-ce que pour autant je pourrais me définir et par là, cristalliser une définition qui deviendrait obsolète avec les ans et l’expérience…


D’après moi, en fait, la question de la modernité ou pas d’une danse ou d’un ballet ne se pose pas tellement sur ce que porte le danseur ou la danseuse mais beaucoup plus sur la composition d’un ballet et la forme que l’on veut lui donner.

 

La connaissance de soi, et plus précisément l’identification d’un style chorégraphique, passe, selon moi, d’abord par une examination et une introspection intime mais aussi par le regard de l’autre, ou plus exactement l’évaluation que l’autre peut faire sur son propre travail.


Il y a dans le vocabulaire d’un chorégraphe tout un panel de composantes, d’inspirations plus ou moins appuyées de son propre savoir et de ses expériences antérieures à sa carrière chorégraphique.

Je peux dire par exemple, que j’ai été très influencé par certains chorégraphes avec qui j’ai travaillé, ou directement, ou indirectement, en exécutant leur style ou l'analysant. Il y a après ceux qui m’ont fortement inspirés de loin, c’est-à-dire des chorégraphes qui m’ont marqué du simple fait d’avoir vu une ou plusieurs de leurs représentations. 

Ensuite, dans la chorégraphie comme dans tout art, il y a d'autres influences plus intimes comme celles des parents, amis et autres connaissances ou tout simplement l’observation de notre environnement proche ou lointain qui sont autant d’éléments qui me composent en tant qu’être humain et artiste, et qui se retrouvent par la suite dans mon travail.


Toutes ces composantes forment un ensemble qui forgent un style unique propre à chacun. Une sorte d’ADN composée de tout ce qui nous a précédé et qui forme un socle pour tout ce qui viendra.

Après, c’est à chacun de pouvoir définir, analyser et isoler ces différents éléments pour mieux en jauger leurs valeurs, les chérir ou les rejeter, se servir de chaque selon les créations, les situations et les danseurs avec qui l’ont travaillent.



Ensuite, l’autre aspect d'un processus de connaissance de soi et de définition d’un style passe par le regard de l’autre. 

Sans être tributaire d’un quelconque tiers qui dicterait la direction à prendre, je dirais néanmoins que le travail chorégraphique (et l’art en général) n’a de valeur que dans le regard et l’appréciation du spectateur, qu’elle soit positive ou négative.

Après tout, une oeuvre n’existe à proprement parlé que lorsqu’elle est proposé à la vue de tous.




Là où cela devient compliqué dans l'art chorégraphique, c’est que chaque acteur du monde de la danse aura sa propre définition de ce qui est classique et ce qui est moderne. En d’autres termes l’appréciation d’un style vient de la personne qui le définit et non pas de canons qui encadrerait une définition claire et établie.


En caricaturant, un danseur classique, par exemple, verra le travail de Jiri Kylian (pour citer une référence universelle) comme faisant parti de la mouvance moderne alors qu’un danseur plus dans ce qu’on appelle la scène libre verra ce même chorégraphe plutôt classique selon ses propres standards.

Sans tomber dans les généralités toutefois. Tout cela dépend aussi du niveau de connaissance de l’observateur et de sa capacité à replacer une oeuvre ou un chorégraphe dans son contexte.

Toujours est-il que le jugement que l’on se fait d’un style dépend de sa propre expérience et aussi de sa propre connaissance; chacun jaugeant ainsi un style selon sa propre échelle de valeur. 


Il y aurait sûrement des experts et des critiques qui pourraient analyser et définir les différentes mouvances comme il y en a dans la peinture et la musique par exemple - des écoles, des styles et des courants - et les regrouper dans des catégories très distinctes mais, selon moi, la difficulté dans la chorégraphie est qu’il y autant de styles que de chorégraphes et que chacun se définit non pas par appartenance à un courant artistique - comme les cubistes, les dadaïstes ou les néo-réalistes dans la peintures - mais par l’expérience et les rencontrent artistiques qu’ils ou elles ont fait.


Au contraire de la peinture qui se classifie par styles très définis, la danse peuvent être organisés, non pas par catégories mais par affiliation. 

Chaque chorégraphe est ou a été, de près ou de loin, influencé par tel ou tel autre chorégraphe, soit en dansant leurs ballets, soit en analysant, s’appropriant et adaptant les styles. La danse a ceci de particulier qu’elle se transmet, même encore aujourd’hui à l’heure de l’image, de bouche à oreille, de personne à personne. C’est peut-être d’ailleurs ce qui en fait sa spécificité.


Dans cette optique, on peut arriver à percevoir quelles branches tels ou tels chorégraphes a emprunté, comme Forsythe, Godani, Pite, etc…, Hans van Manen,Jiry Kylian, Lighfoot/Leon, Walerski, etc… Balanchine et la plupart des chorégraphes américains (…). Et avant Forsythe, Kylian et Scholz, bien sûr Cranko et Stuttgart. Tous ceux-là formant des sortes d’arbres généalogiques stylistiques.

Certains sont éminemment atypiques et (faute peut-être de connaissance personnelle) je ne saurai trouver une affiliation directe comme c’est le cas pour Schläpfer, Goecke ou Lock par exemple. On peut toutefois reconnaitre chez eux certaines influences plus ou moins fortes de tels ou tels mais pas de dominance d’un “maître”.



Je dirais, pour résumer, qu’un style chorégraphique ne se limite pas tellement sur ce que l’on en sait mais plutôt ce que l’on en fait. Le gamme de styles étant très large, ce que les uns trouveront désuets, sera plus moderne pour d’autres, et le temps n’arrangeant rien à l’affaire, ce qui est d’avant-garde aujourd’hui risque bien fort d’être démodé demain.

Quant à mon propre style, je refuse d’en définir les contours et surtout de le ranger dans une catégorie.  J’essaye de rester sincère et entier dans mon approche et mon travail. Je cherche toujours un nouvel angle, j’expérimente ou me sers de mon expérience.

Contemporain pour sûr au sens premier du terme. Classique un peu. Moderne aussi. Entier pour sûr.

 

Martin Chaix

Choreographer and photographer living in Germany

https://www.martinchaix.com
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